Lise Meunier
Hépatologue et addictologue
Service d’accompagnement mobile
pour l’accès aux soins au Réseau
Hépatite C-Bruxelles (SAMPAS)

LA PRISE EN CHARGE DE L’HÉPATITE C :
UN POTENTIEL LEVIER THÉRAPEUTIQUE

Les progrès dans la prise en charge de l’hépatite C sont considérables depuis l’arrivée des nouveaux traitements anti-viraux. Cette révolution thérapeutique permet d’envisager l’élimination de cette maladie. C’est le cap fixé par l’Organisation mondiale1 de la santé pour 2030. Afin d’y parvenir, l’un des points clés consiste à traiter les usagers de drogues qui constituent le principal réservoir du virus. On peut désormais traiter et guérir des consommateurs actifs et des patients ayant des comorbidités psychiatriques et ce, avec très peu d’effets secondaires, quel que soit le stade de fibrose hépatique2. Pourtant, les usagers ne bénéficient encore que trop peu de ces avancées thérapeutiques. Nous sommes confrontés au phénomène de cascade de soins avec la perte de patients à chaque étape entre le dépistage et l’initiation du traitement. Ce constat nous invite donc à repenser l’offre de soins afin d’améliorer l’accès aux soins de ce public fragile et marginalisé3. Cela ne se conçoit que grâce à un renforcement de la collaboration entre différents secteurs et différentes disciplines : secteur hospitalier et secteur associatif, secteur du soin et de la réduction des risques, hépatologie, addictologie et santé publique. Ce constat nous invite également à réfléchir à nos pratiques et à intégrer davantage cette question somatique dans notre clinique.

REPENSER LE PARCOURS DE SOINS : UN ENJEU MONDIAL, DES RÉFLEXIONS INTERSECTORIELLES ET PLURIDISCIPLINAIRES

Le traitement de l’hépatite C est médicalement résolu. Il reste désormais à le rendre accessible. Les publications sont actuellement centrées sur la problématique de l’amélioration de l’accès au dépistage et aux soins des usagers. Différents secteurs sont impliqués dans les réflexions : santé publique, hépatologie, sciences humaines, santé mentale, addictologie et réduction des risques4. L’hépatite C est sortie du champ exclusif de l’hépatologie. Les points ci-dessous, issus de publications, nous paraissent importants :

• Il s’agit de sortir de l’hôpital pour rencontrer les usagers dans leur lieu de soins habituel en promouvant l’ « aller-vers » ou outreach. Les structures d’addictologie et les dispositifs de réduction des risques occupent donc un rôle central3-5.
• Limiter le nombre d’étapes entre le dépistage et l’initiation du traitement, afin d’atteindre l’objectif test and treat. Nous disposons aujourd’hui de nombreux outils pour réaliser en ambulatoire l’ensemble du bilan requis avant le début du traitement (tests rapides d’orientation diagnostiques, buvards, Fibroscan Mobile etc.) 5-7-8
• S’appuyer davantage sur les compétences des pairs dans l’ensemble des projets
• Renforcer l’ensemble des dispositifs de réduction des risques afin de limiter les risques de ré-infection9-10
• Inclure l’univers carcéral dans l’ensemble des réflexions et actions
• Adapter le cadre législatif afin de favoriser les actions ci-dessus3.

RÉSEAU HÉPATITE C BRUXELLES-SAMPAS (SERVICE D’ACCOMPAGNEMENT MOBILE POUR L’ACCÈS AUX SOINS)

Le « Réseau hépatite C de Bruxelles » est né en 2005 du fait des difficultés d’accès des usagers de drogues aux consultations spécialisées d’hépatologie à l’hôpital. Dans ce contexte, l’association a développé l’accompagnement des usagers par des travailleurs psycho-sociaux depuis les structures de premières lignes ambulatoires vers l’hôpital. Depuis 2019, grâce à l’augmentation des financements du projet, nous proposons désormais des consultations d’hépatologie avancées et la réalisation de Fibroscan dans les structures de premières lignes, ce en entretenant une collaboration étroite avec une structure hospitalière. Ces consultations sur site offrent un cadre propice à une rencontre de qualité avec les usagers puisqu’elles ont lieu dans un environnement qui leur est familier. Il faut noter l’apport diagnostique du Fibroscan en ambulatoire (pour statuer sur le degré de fibrose hépatique) qui constitue en plus un levier motivationnel11.
En effet, le temps du Fibroscan est un temps d’échange avec le patient, avec un support visuel concret. L’équipe du « Réseau Hépatite C » de Bruxelles est pluridisciplinaire, a une longue expérience dans le secteur des assuétudes et connaît bien les partenaires du secteur ainsi que la clinique du travail avec les usagers.

INTÉGRER LA QUESTION DE L’HÉPATITE C DANS NOS PRATIQUES, UNE APPARENTE TENSION AVEC NOTRE CLINIQUE ?

Pourtant, nous constatons sur le terrain qu’il n’est pas toujours facile d’intégrer la question du dépistage et de la prise en charge de l’hépatite C dans les pratiques quotidiennes de certaines structures d’addictologie.

En effet, l’hépatite C comporte cette singularité d’être longtemps asymptomatique. La demande de dépistage et de prise en charge émane rarement du patient lui-même, puisqu’il ne ressent, souvent, aucun symptôme. Par ailleurs, nombreux sont les usagers qui ne sont pas informés des nouvelles modalités de prise en charge. Beaucoup se réfèrent à l’époque des anciens traitements (à base d’interféron), quand une biopsie hépatique était nécessaire, les traitements longs, très éprouvants et peu efficaces. À l’époque, il était compliqué de motiver les patients pour cette prise en charge. Nous constatons que la simple information sur la simplicité du bilan et des traitements actuels suffit aujourd’hui à motiver de nombreux patients pour enclencher une prise en charge.

C’est donc aux professionnels de proposer le dépistage et d’informer les usagers sur les modalités actuelles de prise en charge de l’hépatite C. Pourtant, certains collègues du secteur des assuétudes expriment leurs difficultés à aborder ces questions avec les usagers. La question du bon moment se pose : « Parler d’hépatite C de façon systématique dès les premiers accueils dans l’institution ? Alors que le lien est encore fragile ? » Certains évoquent les autres préoccupations essentielles, telles que le logement et le manque de revenus s’imposant comme prioritaires face à l’hépatite C, maladie silencieuse, insidieuse. D’autres appréhendent de rajouter un problème en annonçant à des usagers déjà fort fragilisés qu’ils sont aussi porteurs de l’hépatite C chronique.

Autant de questions pertinentes qui mettent en évidence une apparente tension entre : d’un côté notre clinique guidée par un raisonnement au cas par cas, un travail avec la demande du patient, la construction fragile d’un lien thérapeutique ; et, d’un autre coté, une approche à priori assez systématique du dépistage et de la prise en charge standardisée de l’hépatite C.

L’HÉPATITE C : UN POTENTIEL LEVIER THÉRAPEUTIQUE LISE MEUNIER TIQUE DÉPASSANT LA MALADIE VIRALE HÉPATIQUE

Pourtant, d’après notre expérience, s’intéresser à l’hépatite C chez les usagers précarisés et déstructurés peut constituer, pour certains, un levier thérapeutique avec un impact sur les dimensions sociales, psychiques et sur les consommations elles-mêmes. Il n’est pas seulement question de maladie du foie ni de réponse virologique soutenue.

L’hépatite C a longtemps été vécue comme une fatalité par l’usager de drogues par injection. Beaucoup rapportent une expérience de stigmatisation en rapport avec cette maladie. Guérir de l’hépatite C n’est donc pas anodin. C’est, le plus souvent, guérir d’une maladie liée à la consommation. Cela peut contribuer à une réparation avec un impact positif sur la perception de soi-même et une restauration de la dignité. Comme en témoigne Monsieur R. : « Je me sentais sale à cause de cette maladie. Et puis, j’ai échangé avec d’autres qui prenaient les nouveaux médicaments. Cela m’a rassuré. J’ai décidé de me faire suivre. J’ai fini le traitement. Maintenant je suis guéri. Je me sens moins sale. » Pour certains, la perspective de guérir de cette maladie est un moteur. Citons l’exemple de Monsieur A., vivant dans la rue depuis longtemps : motivé par la perspective du traitement, il décide de rentrer dans une structure d’hébergement pendant la durée des soins. Ou celui de Madame F., s’attaquant à une remise en ordre administrative pour accéder au traitement. Pour d’autres, cela peut constituer une expérience positive permettant une réaffiliation dans le système de soins concernant d’autres questions somatiques. « Je suis guéri de l’hépatite C. Maintenant je vais m’occuper de mes dents. »

COMMENT LE SECTEUR DES ASSUÉTUDES PEUT-IL S’EMPARER DE CETTE QUESTION ?

Notre conviction est que le secteur des assuétudes est le mieux placé pour informer, dépister et accompagner les usagers pendant le traitement, mais également pour prévenir les réinfections. En effet, les échanges avec les usagers autour de l’hépatite C soulèvent les questions des consommations actuelles et/ou passées et des risques encourus. On aborde les obstacles rencontrés dans l’accès aux soins, d’ordre administratif, la question du logement, les craintes liées aux traitements. On réfléchit, pas à pas, avec les patients, aux solutions possibles pour les surmonter. On invente avec eux les meilleurs moyens de les soutenir pour assurer un bon suivi du traitement. Faudra-t-il garder le traitement au centre ? Serait-ce plus facile en institution ? Autant de questions soulevées qui nécessitent un lien de confiance, une approche dépourvue de jugement et une approche globale de l’usager. Ne sommes-nous pas dans l’essence même de notre pratique ?

Cela nécessite sûrement des changements dans l’organisation de certaines institutions, afin de dédier du temps et des ressources à ces questions. Cela requiert également la formation des équipes sur la prise en charge actuelle et sur l’utilisation des outils de dépistage non invasifs. Cela implique aussi certains changements dans notre pratique clinique, avec davantage de proactivité et un certain systématisme, mais sans oublier le raisonnement au cas par cas pour l’accompagnement à proposer durant un processus qui sera différent en fonction de chacun. Ensuite, il convient de renforcer les collaborations permettant un accès simplifié au Fibroscan et aux consultations spécialisées d’hépatologie. Il n’y a pas un bon modèle à proposer. Le modèle de dispositif mobile développé à Bruxelles nous semblait le plus pertinent, mais il en existe d’autres. Il appartient à chaque institution de réfléchir au modèle à promouvoir et aux partenariats à développer, en fonction des ressources et du réseau existant.

CONCLUSION

Les ravages de l’épidémie du VIH avaient imposé un tournant dans l’approche addictologique, avec l’émergence de la réduction des risques. Les décideurs avaient été contraints à des changements en matière de politique des drogues. Aujourd’hui, c’est la perspective de la guérison et de l’élimination d’une maladie qui nous conduit à repenser le système de soins pour ne pas laisser à l’écart la population fragile des usagers de drogues. Notre secteur est le mieux placé pour s’emparer de cette question, à condition d’oser le dépistage et l’information systématique, ce qui nous semble compatible avec notre clinique basée sur l’approche globale du patient, la réflexion multidisciplinaire et le raisonnement au cas par cas.

Cela implique de renforcer des collaborations avec d’autres secteurs, telle l’hépatologie, et d’intégrer l’approche d’autres disciplines, telles que la santé publique ou l’infectiologie, pour améliorer la prise en charge. Le soin de l’hépatite C peut constituer un levier thérapeutique avec un impact dépassant la maladie hépatique et virologique. Le choix appartiendra toujours aux usagers de s’emparer ou non de cette question, mais encore faut-il qu’ils soient informés. Les décideurs doivent assumer le besoin de stratégies nationales pour favoriser le dépistage et l’accès aux traitements tels que la démédicalisation des tests rapides, la simplification des modalités de prescriptions des anti viraux et l’amélioration de l’accès aux soins en milieu carcéral. Enfin, la prévention des réinfections impose un renforcement et une multiplicité des dispositifs de réduction des risques.

ADDICTION(S) : recherches et pratiques
Revue Internationale
N° 4 – Décembre 2019